Par Hubert Prolongeau
Marilyn a de grosses fesses. Elle en souffre, ou, plutôt, elle en a souffert. « La première fois que je me suis mise nue sur une plage, j’ai eu du mal, avoue-t-elle. J’avais 16 ans, beaucoup de complexes.»
Aujourd’hui, elle assume. Nous marchons depuis deux heures, cinq hommes et elle, dans les prés et les bois de l’Essonne. Le soleil brille sans être écrasant. « On s’arrête ? ». Marilyn s’assoit, en évitant ce qui pique. Car tout le monde est nu. Complètement. Ce n’est pas une randonnée, c’est une «randonue»,
Lassés de devoir s’enfermer dans des camps, certains naturistes ont commencé à se promener dans des lieux publics. Dans l’Essonne, les Pyrénées, les calanques de Marseille, en Belgique, ils sont de plus en plus nombreux à pratiquer ces balades d’un autre type.
Rendez-vous a été pris par Internet (groupe «rando-nue» sur Yahoo…) au parking d’Auvers-Saint-Georges. Nous franchissons les dernières habitations, pénétrons sous les arbres, et là, hop, sans prévenir, mes
camarades enlèvent tout, ne gardant que leurs chaussures de marche et leur casquette. Après un instant d’hésitation, je m’exécute à mon tour. Désireux de faire bonne impression, je rentre le ventre. Tout le monde s’en moque: la «tenue de peau», comme ils disent, est ici tellement naturelle que les regards glissent sur les corps sans s’arrêter. «La nudité est une des dernières formes de liberté », s’enflamme Grégoire, leader du groupe. «J’adore la sensation du vent et du soleil sur la peau. C’est tellement naturel », affirme Victor, la trentaine, informaticien.
La troupe chemine. On regarde les fleurs, on butine. Les orties profitent des chairs offertes, les moustiques aussi. Mais voici au détour du chemin un couple de «textiles». Tous sautent sur des jupettes
à Velcro, dont ils se couvrent. Grégoire, pédagogue, s’avance pour expliquer la démarche.
«Bonjour! Notre petite tenue ne vous gêne pas?»
Le couple sourit gentiment, l’air de s’en moquer, et passe son chemin. «C’est très rare que cela tourne mal. Les gens sont surpris, mais discutent.» Il n’empêche: un frisson est passé. Car, aussi mineur
soit-il, le risque légal existe: l’article 222-32 du Code pénal assimile toujours la nudité publique à l’exhibition sexuelle. «Il n’y a pourtant rien de sexuel dans nos randonues.» Je confirme.
Le reste de la journée sera bucolique. Le novice que je suis s’écorchera à une branche, vite soigné par un pansement de Marilyn. Nous pique-niquerons au bord d’un champ. Victor commence à lire Limonov. Les
autres s’assoupissent. Un vent frais se lève soudain. Marilyn frissonne, sort un sweat-shirt de son sac. Elle ne mettra rien d’autre.
Nous ne nous rhabillerons qu’au dernier moment, quand le parking d’Auvers sera en vue. «Voilà, c’est fini», nous dit Grégoire, sourire au vent. Et l’air gourmand, il ajoute: «Vous savez que cet hiver nous irons à la neige … ».
Télérama 3264 01/08/12 13